Retour sur le transfert
De quelques petites remarques personnelles à propos de la question du transfert
Ainsi présentai-je mon livre à ce sujet, en 2008…
Ce livre, c’est : “De la notion au concept de transfert de Freud à Lacan”, L’Harmattan, 2008.
“Il n’existe pas, fort heureusement, d’interprétation univoque de la question théorique ou pratique du transfert pour tous les psychanalystes. Pour les uns, il s’agit foncièrement d’une banalité sans nom qu’ils utilisent à dessein sans souhaiter en dire ou en écrire quoi que ce soit de plus ou d’autre que Freud ; pour d’autres, il s’agit plutôt d’une énigme, à chaque cas renouvelée, dont le corpus théorique ne rend qu’imparfaitement compte de ce dont il retourne réellement. Ce n’est donc que pour certains que le transfert se présente d’emblée comme une question, sinon même, pour quelques-uns, la question princeps ouverte par ladite psychanalyse en sa naissance freudienne.
Mais le transfert n’est-il, de facto, qu’une et une seule question ? Plusieurs questions ne viennent-elles pas à cet endroit se croiser ? Au-delà du fait que le transfert est au moins une question, le transfert pose des questions et, pour peu qu’on y prenne garde, il fournit en même temps la réponse, celle, ready made, que le sujet qui s’en trouve affecté souhaite recevoir. Une réponse, unique, à toutes les questions : « aime-moi et, pour cela, reconnais-moi ; comble-moi de ton amour, pas de manque, pas de perte… »
Lorsque Sigmund Freud reçoit Karl Gustav Jung pour la première fois, en 1907, il lui pose précisément cette question : « Que pensez-vous du transfert ? » « C’est l’alpha et l’oméga de la pratique », répond Jung. Freud alors de lui dire : « Vous avez compris l’essentiel » !
Dix ans auparavant, le 7 juillet 1897, Freud décrit le transfert en termes déjà bien clairs, mais sans le reconnaître théoriquement. Il s’adresse à Wilhem Fliess :
Je continue à ne pas savoir ce qui m’est arrivé. Quelque chose venu des profondeurs abyssales de ma propre névrose s’est opposé à ce que j’avance encore dans la compréhension des névroses, et tu y étais, j’ignore pourquoi, impliqué. L’impossibilité d’écrire qui m’affecte semble avoir pour but de gêner nos relations. De tout cela je ne possède nulle preuve et il ne s’agit que d’impressions tout à fait obscures.
Il ajoute, sur le mode de certaines personnes qui viennent consulter un psychanalyste, dès les premiers entretiens :
La chaleur et le surmenage doivent certainement jouer un rôle dans tout cela.
Soixante-dix ans plus tard, dans la Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole, Jacques Lacan – qui, lorsqu’il parlait du transfert ne prétendait pas viser autre chose que le transfert selon Freud – avance sa formulation la plus achevée sur cette question. Il s’agit de l’algorythme du transfert, soit une écriture dudit transfert.
J’ai repris toute l’histoire du transfert dans la psychanalyse dans mon ouvrage, cité plus haut, paru chez L’Harmattan en novembre 2008, et intitulé « De la notion au concept de transfert de Freud à Lacan ».
Treize chapitres. Le chapitre XIII, dernier chapitre, aura été le chapitre qui me permit de présenter pleinement la dimension du Réel dans le transfert. En effet, si la théorie psychanalytique de Jacques Lacan est une théorie qui repose sur le paradigme nouveau, par lui introduit dans cette discipline, et qui consiste à aborder toute question psychanalytique avec le ternaire RSI, si,… alors, alors la question du transfert doit faire apparaître ses trois dimensions, ses trois consistances, son nœud borroméen du transfert, même, et l’on doit pouvoir reconnaître un transfert dans l’Imaginaire (le transfert, disons, de la répétition des imagos de Freud), un transfert dans le Symbolique (disons celui, en premier, que dégage Lacan dans les années 1960, avec la notion de grand Autre, alors qu’il ne l’est pas clairement chez Freud où les dimensions imaginaire et symbolique sont encore par trop intriquées), et un transfert dans le Réel. C’est ce dernier que j’ai développé dans ce chapitre et qui ne se trouve pas chez Lacan d’une manière explicite. Implicitement, il me semble qu’il y gît, repérable comme tel, mais non formulé.
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À partir, entre autres, de mon livre de 2008 (Eds Lambert-Lucas), « De la notion au concept de transfert de Freud à Lacan », et après avoir rappelé quelles furent les différentes étapes de la découverte et de la théorisation de la question du transfert chez Sigmund Freud, puis analysé les inventions qui firent progresser cette question au cours de la reprise du problème du transfert par Lacan, j’ai résumé et condensé les résultats des avancées de Freud et de Lacan en ces seize points cruciaux suivants, lesquels amènent le sujet analysant et son psychanalyste au même point, celui de la rencontre de leur propre « manque à être » :
DU TRANSFERT
SEIZE points cruciaux :
1. Il existe un nécessaire et incontournable amour dans la cure psychanalytique. La cure est une cure d’amour, sauf que c’est comme à l’envers, c’est-à-dire, une cure de l’amour. Qu’il prenne la forme d’un amour ou d’une haine n’y change rien en son fond. Freud a appelé cet amour amour de transfert. Il est tissé des mêmes fils que l’amour ordinaire, celui qui nous fait tous souffrir un jour ou l’autre.
2. C’est un amour « authentique » (terme de Freud). C’est un amour vrai, dans l’actuel, un amour bien réel et non la simple répétition ou ré-édition d’un amour passé. Un amour dans le réel.
3. Mais le transfert est tressé de cet amour qui, en réalité, est triple. Il y a un amour dans l’Imaginaire, un amour dans le Symbolique et un amour dans le Réel. Le dernier, l’amour dans le Réel est une forme de l’amour dans l’impossible, cet amour qui unit en désunissant dans sa progression vers la différence (sexuelle) absolue, à chaque séance un peu plus, analyste et analysant.
4. Si l’amour dans le réel est cet impossible, c’est que s’est invité à cet endroit, au festin, le désir, lequel est causé par l’objet petit a que recèle, sans le savoir au début, le psychanalyste pour le psychanalysant, et…réciproquement. Le petit a possède, en outre, une redoutable dimension de plus-de-jouir.
5. Mais le transfert est quelque chose qui campe à la frontière de l’amour et du désir. Il est un remuant passeur de frontières, dans les deux sens. Il se présente ainsi tel un Janus bi-frons : d’un côté il réfère à l’amour, de l’autre au désir. Et ceci pour les deux protagonistes, analyste et analysant.
6. Mais l’analyste a un temps d’avance sur son analysant. Son parcours doit lui avoir permis de rencontrer et traverser l’amour imaginaire (castration imaginaire) et l’amour symbolique (castration symbolique). Il peut ainsi permettre l’accès à cette castration pour son analysant, et l’accompagner dans les arcanes des mêmes opérations qu’il a subies, traversées.
7. Mais il reste la question de l’amour dans le réel. Là, ils se retrouvent pris, ensemble, en couple, dans ce concubinage de l’impossible. Car cet amour n’est pas un amour ordinaire, ni un amour courant, ni un amour narcissique et névrotique, un amour qui s’aime en aimant l’amour, en un mot un amour improbable, quoiqu’un amour rêvé comme possible. Bien qu’averti, là où son analysant ne l’est pas encore, l’analyste est à une place homologue à celle de son analysant. Ils sont à des places quasi identiques. Et cette place est celle où le désir fait son office.
8. Le désir opère sur le front de l’objet et donc du manque. Il est sans représentation directe, sinon par le biais de l’amour où il se dégrade dans la demande. Il est poussé par l’insatiable pulsion en son circuit infini. Il est ce qui se dit, s’énonce et dé-range l’Autre. Il est ainsi un créateur d’angoisse. Il s’insère entre le besoin et la demande, sans être ni l’un, ni l’autre.
9. Du côté de l’analyste, le désir qui prime s’appelle le désir de l’analyste. C’est un désir qui désire qu’il y ait de l’analyse. Que l’on aille jusqu’au bout. Au bout de l’analyse.
10. L’amour de transfert est ainsi chevillé, non seulement à ce qui se passe chez l’analysant, mais aussi à ce qui se passe chez l’analyste concernant le désir d’analyste. Il doit s’y produire la métaphore de l’amour. L’aimé-désiré, ou voulant l’être, cesse sa plainte de ne pas être assez aimé ; il devient aimant-désirant. Changement, substitution de place, retournement, transfert : révélation de la signification de l’amour, comme s’exprime Lacan.
11. La tâche du psychanalyste est de révéler au sujet l’objet de son désir à partir de la demande d’amour.
12. A une seule condition, c’est que cet amour dans le réel, cet amour impossible qui enlace dans un ensemble invivable ou insupportable analyste et analysant, soit un amour qui réintègre en son sein le désir, qu’il s’y confonde, qu’il ne fasse qu’Un avec lui, comme dans la Grèce ancienne.
13. Qu’il s’agisse, alors, véritablement, d’un désiramour. Qu’il s’agisse, désormais, de désiraimer. Cette position qui conjugue le verbe désiraimer, c’est aussi celle, et la seule, qui se supporte du manque. Qui supporte le manque. Fondamental ou passager. Désiraimer, devient ainsi le seul accès, pour le sujet, qui lui reste, pour atteindre à la vérité de son désir.
14. La psychanalyse est donc bien cette discipline qui propose au sujet de nouer les trois dimensions de l’amour, appelé en cette situation et en ces circonstances amour de transfert. Nous devrions aborder dorénavant le transfert dans sa totalité, dans la triplicité de son nouage borroméen qui se décline en ses trois dimensions : imaginaire, symbolique et réelle.
15. La dimension réelle du transfert, où se tapit férocement en son cœur le désir, c’est alors celle qui ne méconnaît plus l’existence, la consistance et le trou que produit l’amour dans le réel, cet amour infernal qui enlace les deux protagonistes de la situation analytique et qui est cependant le seul amour à réintégrer la question sexuelle comme la question humaine cruciale, fondamentale, centrale et que Lacan a ramassé dans sa célèbre formule : « il n’y a pas de rapport sexuel ».
16. Enfin, le psychanalyste, c’est quelqu’un qui est animé du désir de l’analyste, ce qui lui confère une présence, unique, laquelle lui permet d’opérer de sa place de sujet supposé savoir. « […] c’est à la place où nous sommes supposés savoir que nous sommes appelés à être et n’être rien de plus, rien d’autre que la présence réelle et justement en tant qu’elle est inconsciente. », dit Lacan dans le séminaire Le Transfert [1960-1961].
Ainsi, si l’analyse débouche aussi, pour chacun, pour chacune, sur un nouvel art d’aimer,…il faut que ce soit autrement ! C’est même urgent ! Car il s’agit, hic et nunc, de désiraimer autrement.