École du Réel

Jean-Michel LOUKA
27 mai 2022

École du Réel

Il s’agit d’une école, certes, mais d’une école au sens d’un « être à l’école de… ». D’être à l’école, précisons, à l’école du Réel. C’est le Réel qui nous enseigne.

Le Réel, c’est le symptôme de Jacques Lacan. Dont on hérite. Il disait qu’il était freudien, et qu’il n’avait inventé qu’une seule chose, l’objet petit a. Mais qu’il avait un symptôme, qu’il appela le Réel et l’intégra dans son nouveau paradigme heuristique pour la psychanalyse : R.S.I. (Réel, Symbolique et Imaginaire). Le nœud borroméen à trois consistances. Le Réel n’est pas la réalité sensible à laquelle nous avons tous à faire. Ce n’est pas non plus la « psychische Realität » de Sigmund Freud. Le Réel, finit-il par conclure, c’est l’impossible. Toute forme d’impossible à laquelle nous nous heurtons. Mais le Réel n’est pas un, il n’y en a que des bouts. Un bout de Réel, puis un autre…

Il s’agit donc d’une école pour essayer de traiter les points de Réel auxquels nous sommes, psychanalystes, confrontés, et dont nous pâtissons aujourd’hui.

Trois exemples parmi d’autres. Sans doute bien d’autres, à lister.

Premier bout de Réel

Il y a une contradiction, majeure, depuis les débuts de l’histoire de cette discipline. La psychanalyse individuelle, inventée par Sigmund Freud et refondée par Jacques Lacan, mène le sujet à reconnaître son désir et à ne plus céder sur celui-ci. En d’autres termes mène le sujet, du même pas, à rencontrer et reconnaître sa liberté désirante, et à ne plus jamais y renoncer, comme il le faisait du temps de sa névrose.

Or les associations et autres écoles introduisent nécessairement, nolens volens, le sujet analysé à un mouvement contraire, régressif, d’appartenance, d’adhésion, d’approbation à un collectif qui débouche sur une forme de dépendance. C’est de structure. Ce mouvement est incompatible avec la visée et les résultats espérés par la psychanalyse d’un sujet menée jusqu’à sa fin. La finalité d’une analyse et la finalité d’un collectif, association ou école, sont contradictoires. Il y a une aporie. Nous avons affaire à un Réel.

Comment traiter de cette aporie ?

Deuxième bout de Réel

L’État ne veut plus des psychanalystes dans ses institutions de santé ou universitaires.

La psychanalyse, déconsidérée par l’État, par ses institutions et les établissements de santé (de la santé mentale, tout particulièrement), par l’enseignement universitaire, est attaquée de toute part. Elle est une discipline mortelle comme je l’ai écrit depuis longtemps. Elle pourrait disparaître sans que d’aucuns ne s’en aperçoivent, ou  bien trop tard.

Malgré la position très claire, très ferme et constante de l’inventeur de la psychanalyse, Sigmund Freud (Cf. La question de l’analyse profane, 1926), malgré la position aussi forte et inchangée jusqu’à sa mort d’un Jacques Lacan (Cf. L’analyste ne s’autorise que de lui-même, 1964), on en veut rien savoir, les instances officielles de la santé mentale n’en tiennent aucunement compte depuis toujours. Elles s’ingénient d’année en année à ignorer ce qui fait autorité dans le milieu de la psychanalyse et des psychanalystes. Ce qui fait autorité c’est ceci…

1. Que la psychanalyse est une discipline à vocation scientifique,

autonome, à part entière, et le psychanalyste un professionnel indépendant (Der Analytiker, Freud), qui exerce un métier. La psychanalyse n’est pas une dépendance de la médecine, de la psychiatrie, de la psychologie, de la pédagogie ou encore de la philosophie.  Elle reste étrangère à toute religion ou idéologie et à tout système philosophique.

C’est donc, comme l’a nommée Freud,  une discipline, profane, laÏque (Laienanalyse, Freud, 1926). Son exercice n’est pas réservé ou sous la coupe ou la couverture d’une autre profession, fût-elle médicale. La psychanalyse est «profane ». Profane par rapport aux temples de la médecine, autant qu’à celui de la psychologie, de la philosophie ou de la pédagogie. Profane (pro-fanum, devant le temple de tout savoir savant ou universitaire comme de toute religion).

Et s’il n’y a pas de diplôme de psychanalyste, c’est parce que tout diplôme est, depuis toujours, invalide en ce domaine, car seule sa formation, son analyse, sa filiation témoignent de sa compétence supposée acquise.

2. Que l’analyste « … ne s’autorise que de lui-même, (Lacan, 1964). Mais, pas de son petit Moi, ce de lui-même concernant son propre inconscient, à l’écoute, car sa subjectivité est en jeu dans le « s’autoriser ». Pas d’autorisation réglementaire de l’État, ni de l’Ordre des médecins, ni des syndicats ou associations de psychologues, ni des diplômes de l’Université. L’Alma Mater est incompétente en ce domaine. Pas plus autorisé par un maître, de tout maître.

3. Que l’analyste doit avoir poussé son analyse personnelle au plus loin qu’il lui est possible avec son analyste, afin que celle-ci puisse être, à juste titre, dite « finie » et pas seulement « terminée », car mettre un terme n’est pas toujours « finir ». À l’expérience, pas moins de sept années y semblent au moins nécessaire. C’est un minimum. Plus n’y contrevient nullement.

4. Que le psychanalyste déclare, urbi et orbi, exercer en tant que psychanalyste, et à ce titre.

Les psychanalystes, qui exercent comme tels, risquent fortement d’être mis en cause, que leur existence professionnelle et donc sociale soient déniée, voire que leur exercice soit annulé ou interdit, tant qu’un diplôme universitaire ne leur sera pas imposé. Or il n’existe pas et il ne peut pas exister de diplôme de psychanalyste, lequel serait une aberration, seule sa formation, sa psychanalyse poussée à sa fin, son ou ses contrôles sont son viatique et sa garantie pour exercer.

Il y a là un Réel, incontournable. Et nous sommes, en ce domaine à l’école du Réel de cette situation dangereuse.

Comment faire, aujourd’hui, avec ce rejet ?

Troisième bout de Réel

Le Monde a changé, la psychanalyse, sa pratique, ses concepts doivent-ils rester immuables, au risque parfois, de se scléroser et ainsi de disparaître ? Il semblerait ici que ce bout de Réel, cet impossible au changement, à l’adaptation au changement de la société, à la différenciation des demandes soit de plus en plus un enjeu crucial. Sinon, la psychanalyse pourrait être définitivement reléguée dans les oubliettes de la pensée et des pratiques par d’autres disciplines dans le vent comme les psychothérapies, la psychiatrie biologique ou comportementale, la philosophie, l’histoire, la sociologie, les mouvement féministes et leurs études de genre.

Comment ne plus ignorer cette réelle question, comment la reprendre ?

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Ma proposition est ainsi la suivante : désigner, nommer par cette expression l’« École du Réel » une « association de fait » (donc une association non-déclarée loi 1901),  sans cotisation, sans engagement autre qu’une déclaration, une énonciation, un dire de chacun, chacune : « Je me reconnais dans les prérequis  et je déclare exercer en tant que psychanalyste ». Car, dans la psychanalyse, c’est une parole qui est, avant tout, attendue.

À l’impossible l’analyste est tenu.

Il ne s’agit nullement d’une nouvelle école d’enseignement académique, plutôt d’un mouvement à initier pour fonder une école.

Cette « École du Réel », serait une école, je l’entends ainsi, au sens des écoles artistiques, comme il y eût l’école de peinture de Pont-Aven en Bretagne, ou celle de Barbizon, par exemple, ou l’école mathématique dénommée Nicolas Bourbaki, ou encore bien d’autres « écoles », mouvements artistiques ou scientifiques.

 

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